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UN CHILO DI PIUME, UN CHILO DI PIOMBO de Donatella ZILIOTTO

" Un kilo de plumes, un kilo de plomb".... C'est un livre que l'on repère tout de suite au milieu d'une vitrine. Pas qu'il soit spécialement grand - 14 cm x 20 cm - Format pratique. C'est plutôt le dynamisme de l'illustration qui attire le regard, cette jeune fille qui marche, les yeux vers le ciel, ses cheveux noirs ébouriffés par le vent qui soulève son écharpe rose, serrant contre elle son journal intime - diario - vert contre sa veste noire, les quelques touches de rose sur son visage. Dans le ciel deux avions. Les regarde-t-elle,  tout en allant de l'avant?

Puis c'est cette inscription, dans le ciel, comme écrite à la main. En un éclair se rejoue cet épisode que plusieurs d'entre vous auront expérimenté: vous êtes enfant, un grand vous interpelle: - "Eh! Qu'est-ce qui est plus léger, un kilo de plumes ou un kilo de plomb ?" Votre réponse fuse : - "... de plumes, bien sûr!" - "Mais non, ...(noms d'oiseaux)...je t'ai bien eu/e, un kilo etc.." .Vous êtes à la fois très vexé/e, étonné/e de la logique qui vous avait échappé, et admiratif/ive devant ce nouveau concept. Et vous cherchez à votre tour un ou une victime à épater et à instruire.

Et puis (mais ces trois moments que je suis obligée de séparer pour les dire sont en réalité presque simultanés), la curiosité vous fait vous rapprocher, et vous lisez les noms, qui ne sont pas en grands caractères. Les noms de trois Grandes Dames de la littérature - de jeunesse, mais pas seulement - italienne  contemporaine: Donatella ZILIOTTO, Grazia NIDASIO et Bianca PITZORNO !  Impossible de résister!

 

Donatella Ziliotto donne dans ce livre la parole à une jeune Fiamma, qui vit à Trieste, et est en quarta elementare, en CM1, c'est dit dans le titre du premier chapitre. Elle a donc neuf ans, et aurait tellement aimé s'appeler Tonina (Toinon, Toinette), plutôt que ce prénom littéraire que sa mère, un peu snob, lui a donné. Elle a neuf ans, à Trieste, en 1940.

La date, c'est la quatrième de couvertture qui la révèle, mais peu importe: Fiamma vit la guerre, les bombardements, l'incipit du roman nous place d'emblée dans ce contexte: "La lumière s'éteint et se rallume trois fois: pré-alerte". Sans nous laisser le temps d'avoir peur, la fillette saute sur l'occasion, elle prie sa maîtresse de la laisser rentrer chez elle, à deux pas de l'école, sinon sa maman, qui "n'est pas d'ici" et "ne se contrôle pas comme les mamans d'ici" deviendra "folle de peur". Parole de fille, qui se précipite dehors, suivie de sa meilleure amie, sans attendre une vraie autorisation de la maîtresse, pour.... faire du patin à roulettes sur la Grand Place de Trieste, vidée par l'alerte aérienne. Un extraordinaire espace de liberté pour les deux fillettes. " Nous sommes dehors. Temps idéal pour les bombardements: l'air que le vent a rendu tout clair, la mer et le ciel qui illuminent la ville de blanc. Temps idéal pour patiner".Et ce jour-là, pas de bombes.

Si je me suis arrêtée sur ce tout premier épisode, c'est que tout y est déjà: le caractère de Fiamma, sa famille, la ville de Trieste et la guerre.

 

Fiamma se caractérise par sa grande vivacité, son esprit d'observation, sa faculté de saisir l'évènement au bond, son indépendance, et son intelligence instinctive. Plus un grand amour pour les animaux: son chat, son chien, ses lapins clandestins.

 

 

 

 

 

 

La lectrice, le lecteur, jeune ou moins jeune, qui a lu la dédicace avant de commencer " A mes amis d'alors: les amis d'aujourd'hui. A mon chat Puffy, et à mon chien Bibi, victimes de la guerre (...)" en voyant que, si le chat de Fiamma s'appelle Menelao, son chien s'appelle aussi Bibi, comme celui de l'auteure, commence à comprendre que ce récit est autobiographique.

En se renseignant un peu, en lisant quelques articles sur la sortie du livre, il/elle apprend qu'en effet, Donatella Ziliotto raconte dans "Un chilo di piume, un chilo di piombo" ses années de guerre, en se basant sur les journaux intimes qu'elle a tenus régulièrement de 1940 à 1949. "Huit volumes qui", a-t-elle dit, "m'ont aidée à  me rappeller de toutes les plumes qu'il peut y avoir pour un enfant même en pleines années de plomb"

UN CHILO DI PIUME, UN CHILO DI PIOMBO de Donatella ZILIOTTO

 L'image que nous donne Fiamma de sa famille (aidée en cela par la plume de l'auteure) est un vrai régal.

Sa mère, très snob, elle la regarde d'un oeil critique, et découvre pourtant, en écoutant ses conversations avec une amie d'enfance, qu'elle a été une fillette comme elle, aussi difficile que ce soit à imaginer.

Son élégante demi-soeur, à qui elle voudrait tant ressembler, et dont elle pressent pourtant l'admiration vouée au régime fasciste, que ne partage en rien son père, est l'objet de paragraphes assassins et très drôles.

Son père bien-aimé est un personnage très intéressant. C'est lui l'inspirateur du non-conformisme de la fillette - avec son enseignante d'italien de 6°, Rita Cajola - son vrai nom - l'autre grande figure du livre. L'une des plus belles pages de ce récit raconte le jour où son père, excédé par la fréquence des alertes  aériennes, l'emmène au cimetière plutôt qu'au refuge souterrain - " Alors nous sommes allés  nous promener au cimetière, comme ça, si on mourait , on était déjà sur place" - Il lui parle de poésie et de style "classique" et "baroque" des tombes, dans un autre grand moment de liberté. Ce qui fait le prix de cette page, c'est la façon "décousue" qu'a Fiamma ( et Donatella Ziliotto) de se laisser porter par les associations d'idées qui donnent une grande épaiseur à son évocation.

UN CHILO DI PIUME, UN CHILO DI PIOMBO de Donatella ZILIOTTO

 Pour synthétiser le rapport souvent houleux qu'a Fiamma avec sa famille, il y a l'épisode où elle "squatte" la salle de bain (" On verra bien quand ils devront courir aux wc publics") pour faire accepter son chien Bibi ( "qui aboie après le portrait de Mussolini"). Après de longues négociations "les termes de l'accord ont été signés sur du papier hygiénique passé sous la porte. Puis je me suis rendue, je suis sortie des toilettes."

UN CHILO DI PIUME, UN CHILO DI PIOMBO de Donatella ZILIOTTO

La guerre est constamment présente, avec les bombardements, la faim - la sienne et celle des autres quand son chat entre dans le restaurant voisin et n'en sort jamais plus; le marché noir; les persécutions des juifs - une invraissemblable fräulein Gerta, viennoise, qui devrait lui enseigner l'allemand,  dont on (les lecteurs) comprend qu'elle se cache chez eux.

Et la mort, celle de son chien Bibi, bien que ce soit à la campagne, dans la famille de la bonne slovène, Dani : première période de vie plus facile, d'où la guerre est momentanément absente, mais pas pour longtemps

Celle du grand-père de la famille qui l'héberge, quand elle est envoyée se requinquer en montagne, loin de la ville, tué "pour rien" par des soldats allemands en débâcle. Ce seront pour Fiamma des semaines de total changement, la fin de son enfance, les portes de son adolescence.

UN CHILO DI PIUME, UN CHILO DI PIOMBO de Donatella ZILIOTTO

Il faudrait encore que je vous parle de la présence de Trieste, ville géographiquement, et historiquement, et culturellement très particulière, et très efficacement présente, mais je ne peux trop solliciter votre patience.

Pour ce qui est de Grazia NIDASIO, la grande illustratrice, ses images parlent d'elles-mêmes. De deux choses l'une: soit vous la connaissiez déjà, et vous êtes, comme moi, ravi/es de la retrouver avec tout son humour et son efficacité. Soit vous ne la connaissez pas encore, et vous trouverez ici le lien sur un site, en français (pour une fois, pas de frustration), qui en fait un portrait très efficace et assez complet.

La préface de Bianca PITZORNO donne une dimension personnelle en évoquant les conditions de la rédaction de "Un chilo di piume, un chilo di piombo".  Elle aussi est une très grande dame, à la tête d'une oeuvre considérable et variée, mais ce sera l'objet d'autres Lectures Italiennes.

 

Nous allons nous quitter sur cette image de la jeune Fiamma-Donatella, lectrice boulimique, devenue éditrice et écrivain pour le plus grand bonheur des jeunes, italiens et autres, car elle a beaucoup traduit et été traduite. Et ce n'est que justice que ce livre se soit vu attribuer, en mai 2016, le prix spécial du jury du prix Andersen.

 

Il reste à remercier particulièrement les éditions LAPIS qui ont pris l'excellente initiative de rééditer ce texte illustré paru en 1992, et qui m'ont aimablement permis de reproduire les images illustrant cet article.

 Un chilo di piume, un chilo di piombo n'est pas "un livre de jeunesse". C'est un superbe témoignage que des jeunes de 10/ 11 ans et de moins jeunes sans limite d'âge liront avec grand profit et un énorme plaisir.

Donatella ZILIOTTO (texte), Grazia NIDASIO (illustrations) Bianca PITZORNO (introduction)

Editions LAPIS 1992 - 2016;        120 pages       12, 50€     A partir de 10 ans.

 

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