29 Juillet 2019
Villes, visites, voyages... vous allez m'objecter qu'en juillet-août, ça n'a rien de bien original! Certes, mais ayant fouillé un peu dans ma bibliothèque, j'y ai trouvé de bien jolis livres, et ce serait dommage de bouder notre plaisir. Quitte à ne partir, pour l'instant, que sur les ailes de l'imaginaire.
Pour choisir la destination à proposer à notre jeune voyageur ou voyageuse, nous pourrions commencer par lui donner un recueil de poésies paru en 2018 chez Lapis: Cartoline dall'Italia. C'est Nicola CINQUETTI qui est l'auteur des textes, et Desideria GUICCIARDINI celle des illustrations.
La cartolina, la carte postale perd du terrain, paraît-il, devant les smartphones et autres tablettes, mais enfin on en trouve encore. Et Nicola Cinquetti nous propose, dans l'introduction, "si nous avons en poche une poignée de rimes, pour partager ce que nous avons vu, (nous pouvons) composer une poésie, un fragment après l'autre, et laisser les vers donner un nom aux choses." C'est ce quil fait dans cet album, et il donne envie de faire pareil par la suite.
De même que le touriste averti regarde par le trou de la serrure de la porte d'entrée de la Villa du Prieuré de Malte, à Rome, pour le plaisir de voir l'énorme coupole de Saint Pierre réduite à un camée parfaitement encadré, de même l'enfant qui lit cet album, et l'adulte avec lui, vont découvrir au fil des pages 56 villes italiennes, par ordre alphabétique, de ALBA à VOLTERRA . Pour chacune, mondialement connue comme Florence ou Venise, ou à découvrir comme Iesi, ou Terni ou Tropea, un détail:
Ce ne sont là que quelques exemples, pour vous mettre en appétit.
Nicola CINQUETTI, dans une interview donnée en février de cette année à Salerne, en Campanie, précise dans quel état d'esprit il a composé cet ensemble. Il a dans le passé fait un guide pour les jeunes sur sa ville de Vérone ( nous reparlerons plus loin de cette collection) : "Voilà, pour composer ces nouvelles poésies, j'ai repris le regard que j'avais adopté pour parcourir et redécouvrir ma ville: un regard du bas vers le haut, plein de curiosité...".
C'est le regard qu'a dessiné Desideria Guicciardini ( elle n'est pas inconnue en France),pour sa longue file de touristes lilliputiens qui attendent de pouvoir regarder, à Rome, par le fameux trou de la serrure reproduit en couverture. Eux n'ont pas sorti leurs appareils de photos ni leurs smartphones, ils attendent de voir. Tandis que tous ceux qui entourent les statues de Florence, tous, sont en train de photographier: visiblement, Desideria souligne qu'ils ne sont pas poètes, pas encore.... il faudra leur offrir les Cartoline dall'Italia....
Et Nicola Cinquetti, encore, pour définir la "poesia per bambini": " La poésie pour enfants ( et plus généralement la littérature pour les enfants), le lecteur enfant peut la comprendre et l'apprécier sans la médiation d'un adulte. Le lecteur adulte, quant à lui, ne peut comprendre et apprécier la poésie pour les enfants que grâce à la médiation de l'enfant qui est en lui".
Il parle aussi d'"émerveillement et de magie", rapelle que "la métaphore n'est ...rien d'autre qu'une magie linguistique", mais n'oublie pas que, au-delà du conte, de la fable, des comptines, l'enfant est aussi très sensible au jeu de mot, à l'histoire drôle, "la barzelletta".
Ce sont tous ces éléments que l'on retrouve dans nos 56 poésies, très souvent en vers de huit pieds, parfois neuf, qui se prêtent bien à la diction. Pas de ponctuation, une seule majuscule au début : les yeux et la voix sont plus libres de s'appropier le texte. Les rimes sont la plupart du temps 'suivies': vous savez, AA BB CC DD ........ celles que l'on trouve dans de nombreuses comptines, régulières et rassurantes. Parfois aussi 'embrassées', AABBBBAA, pour Matera, par exemple: elles donnent une musique un peu plus recherchée, ces 'rime baciate' qui, nous dit l'auteur dans sa petite introduction, sont aussi un baiser à la beauté".
Il y a la fable à morale, comme les récriminations de la plus petite des deux tours de Bologne, qui se plaint de la renommée de sa célèbre voisine, mais souligne que Dante "che fu un poeta sapiente e sognante" (un poète savant et rêveur) n'a nommé qu'elle dans son grand poème.
Il y a la ronde burlesque des "pedoni di Ferrara", ces piétons qui font du vélo toute la journée, et juste le soir, tard, vont enfin au lit "camminando", à pied.
Il y a le conte de la maison natale de Christophe Colomb, à Gênes, conté en deux strophes de quatre vers de 11 pieds, forme plus solennelle: una casetta minùscola e strana (minuscule et bizarre), presque "una casa bambina" qui pourrait s'appeler La Nina, comme l'une des caravelles de Colomb. Et là en particulier, l'illustration synthétise très poétiquement le texte: la page est envahie par les voiles gonflées de la caravelle, d'où dépassent cependant les deux tours de Porta Soprana, et qui s'écartent à peine pour laisser entrevoir la casetta minuscola.....
Il y a cinquante six petits trésors, où chacun, chacune, selon sa sensibilité, trouve sa perle, texte et illustration. En voici trois exemples, grâce à la générosité des éditons Lapis que je remercie ici pour ces images.
Un lieu fermé, la bibliothèque du poète Giacomo Leopardi. Son encrier et sa plume d'oie, pour donner naissance à des poèmes que tous les italiens ont lus un jour. Le sujet peut paraître difficile pour des lecteurs enfants. Mais cet encrier "antico" et aussi "bello e bianco di nevaio", d'un blanc de neige, voici que le poète y pêche des poésies, que les pâtés donnent des mélodies, que l'encre noire se transforme en chants qui sont aussi pour nous (nostro est le mot final).
Les deux murs de bibliothèque pourraient être angoissants, tant ils envahissent le champ. Mais le bout d'échelle et la jambe de celui qui est à la recherche d'un livre donnent mouvement et échappée. Et sur la page plus toute blanche, "sempre", toujours : début de la poésie la plus célèbre et la plus aérienne de Leopardi, qui évoque une colline, un paysage ouvert au-delà d'une haie... Beaucoup d'entre vous connaissent L'Infinito par coeur, sinon lisez-la vite, en italien ici, et en français là...... Mais surtout, vous comprenez la finesse et la profondeur du travail de l'illustratrice, qui donne corps aux mots sur l'ensemble de la page de droite, toujours, avec un petit rappel graphique sur celle de gauche. - "Comment, Le Poète fait des taches d'encre ? Comme moi? Ben alors!". Et pourquoi pas suggérer, indépendamment du texte historique, de continuer son propre "Sempre..." ?
Venezia, Venise! Comment ne pas tomber dans le cliché?
Ni l'auteur ni l'illustratrice ne le font. Cinquetti chante les malheurs de la cité qui, entre pigeons et millions de touristes - sans cyclistes toutefois - , entre acqua alta et sécheresse, supporte tout grâce à la magie de ses reflets; "la città che sembra un sogno", la ville qui est comme un rêve. Là encore, sans doute, vous serez sensibles au caractère onirique des reflets de ces architectures que nous connaissons bien, en vrai ou en photo, au choix des couleurs, du turquoise matinal à l'orange de coucher de soleil, à la présence discrète mais bien réelle des gondoles et des bateaux à moteur, et des dizaines de jambes de touristes affairés sur la "fondamenta"....Plus les trois qui risquent bien de se refléter dans l'acqua alta au bord du texte!
Naples, enfin: voir Naples et mourir? Que nenni!
Le cloître des Clarisses, ses 72 colonnes et ses bancs entièrement recouverts de carreaux de faïence peints, fleurs et fruits sur les colonnes, scènes bucoliques sur les bancs (et une représentation, en abyme, du cloître sur l'un d'eux...) est un lieu de grande paix, qui "éclaire le coeur - il mio cuore si rischiara" . Les rimes sont une variation sur le nom de "Chiara": -ara, -ura, -era, -ori", joyeuse musique qui permet la pirouette finale "vedi Napoli e poi fiori": "des fleurs" au lieu de "tu meurs"...
Desideria a saisi l'essence du lieu, ses colonnes et les couleurs du décor floral et végétal. Mais elle y a ajouté, regardez bien, trois petits chardonnerets, oiseaux fétiches des napolitains. Celui de gauche semble être un motif décoratif, mais ceux de droite volent; et il semble même qu'il y ait un nid sur la dernière colonne de gauche... Que d'histoires à inventer avec nos petits lecteurs!
Cartoline dall’Italia de Nicola Cinquetti e Desideria Guicciardini
Lapis Edizioni 2018
relié, 120 pages, couleurs, 17,00 €
ISBN: 9788878746251
à partir de 5 ans
La seule chose dont je ne peux vous parler, n'ayant pas eu d'exemplaire papier entre les mains, est la réalisation. Mais on peut faire confiance.....
- "Alors, on part où, d'après toi?" - " On part, on part! A Santà Kiarà! On dirait qu'on jouerait à cache-cache entre les colonnes, avec les chardonnerets...!"
à suivre..............
Voir le profil de Lecturesitaliennes sur le portail Overblog