25 Juillet 2021
Des voix s'élèvent ici ou là: "Encore une Divine Comédie "pour les jeunes"! N'y en a-t-il pas déjà suffisamment? Pour tous les âges? Faut-il forcément sacrifier au septième centenaire?"
Certes, il y en a déjà. Un nombre certain. Si vous avez envie d'approfondir ce point, jetez un coup d’œil sur cet article de G.Antonelli, paru dans le Corriere della Sera du 03 janvier 2021: il réfléchit sur "la vieille question: peut-on simplifier Dante?". Lisez aussi cet autre (où apparaît le lien précédent - Merci à la Revue ANDERSEN qui nous a rendu ces trésors accessibles dans son numéro de mai, comme je vous le signalais dans L.I. du 18 mai dernier -). Il date de mars, et s'intitule "In bella prosa o in versi diversi. La Commedia per i piccoli", de Cristiana De Santis. Ces deux articles me semblent bien informés, au vu des livres que j'ai pu feuilleter, et posent bien les problèmes.
Malgré cette richesse déjà existante, il m'a semblé important que Lectures Italiennes vous parle de la contribution de l'éditeur LAPIS. Parce qu'une bibliothèque scolaire ou publique se doit de permettre aux jeunes lectrices et lecteurs d'avoir des présentations diverses d'un même classique.
Cette lecture de la Divine Comédie par Arianna PUNZI pour le texte et Desideria GUICCIARDINI pour les illustrations est belle, dans sa simplicité:
Arianna PUNZI se fait la voix du poète-voyageur Dante, qui invite la "cara lettrice" et le "caro lettore" (chère lectrice, cher lecteur) à le suivre dans sa traversée des trois royaumes de l'au-delà. Elle procède par étapes-chapitres, chacune avec son titre - à la manière des romans d’aventure: "Dove Dante si smarrisce..." (Où Dante se perd...), "Dove Sapia l'invidiosa parla con Dante" (Où l'envieuse Sapia..."), " Dove Cacciaguida rivela a Dante il destino che lo aspetta" (Où Cacciaguida révèle à Dante le destin qui l'attend)....
De cette façon, la lectrice, le lecteur peuvent focaliser leur attention sur l'épisode et les noms des protagonistes rencontrés par Dante (ils les retrouveront dans un dictionnaire, en fin de volume, qui donne quelques indications, historiques ou mythologiques et les pages où ils sont cités). Chaque chapitre comporte aussi, en ouverture, le numéro du ou des chants du Poème original où cet épisode est raconté, et une terzina liée au thème retenu. Le tout imprimé avec des caractères très lisibles, une mise en page aérée qui rendent la lecture sereine. Voyez vous-même dans cet extrait reproduit - descendez en dessous de la page blanche qui s'affiche d'abord... Vous y trouvez le début du livre, avec une vie de Dante synthétisée en une page pertinente, une préface, et des réflexions de l'auteure sur les raisons de lire Dante aujourd'hui.
Nous évoquerons plus loin l'articulation entre le texte et les illustrations. Chaque chapitre s'étend sur 2/3 à 5/6 pages. 90 pages (illustrations comprises), pour l'Enfer, 71 pour le Purgatoire, et 71 pour le Paradis. Sans oublier trois "cartes" en couleurs des trois royaumes - dont on regrette seulement que le pli de reliure au milieu altère un peu la lisibilité. Un volume de 264 pages, au format 14,4 x 20,8 cm, couverture souple plastifiée. On a pu critiquer ce choix en le trouvant "pas très digne"..., mais à l'usage, nous avons un livre robuste que l'on pourra glisser "dans son sac à dos - nello zaino", et emporter à lire cet été où bon nous semble, à la plage (comme Grazia Gotti, quitte à ramener du sable entre ses pages), autant que chez les amis qui nous ont invités.
Qu'est-ce qui permet au récit de A.Punzi d'être aussi fascinant que celui de Dante lui-même? Pourquoi arrive-t-on à la suivre sans être impressionné par la sacralité littéraire du texte, mais en étant emporté par l'aventure?
Sans doute est-ce à la fois sa connaissance intime du poème (c'est une universitaire qui aime enseigner; elle est philologue et médiéviste, passionnée par la Divine Comédie; mais aussi mère et grand'mère-conteuse), et le choix qu'elle a fait pour ce texte,destiné aux jeunes "à partir de huit ans", mais que des adultes peuvent lire avec plaisir et profit. Elle a choisi de se concentrer sur les rencontres de Dante, les conversations qu'il a, dans chacun des royaumes, avec ses amis - le musicien Casella , Forese Donati...-, ses ancêtres, des hommes ou femmes célèbres - Ulysse, Manfredi, les poètes antiques...-, des personnages historiques, souvent ennemis - des papes, Farinata degli Uberti...-, des florentins comme Ciacco le goinfre, ou Belacqua, le luthier paresseux..., celles et ceux qu'il découvre - comme Francesca da Rimini et son amant Paolo Malatesta. Sans parler des saints, surtout au Paradis, et de ses deux guides: Virgile d'abord, puis Beatrice. Chacune de ces rencontres est vécue par Dante, et racontée par Arianna Punzi, avec toute la gamme des émotions humaines, des plus effrayantes aux plus exaltantes, qu'il vit dans son corps. Chacune de ces rencontres, chacune de ces conversations le fait évoluer, mieux comprendre les humains à qui il veut ensuite raconter dignement son expérience. Et la lectrice, le lecteur, le suit sur ce chemin. Et cela, l'auteure le dit très bien : " Trasuda vita, questo testo", "c'est la vie qui se dégage, de ce texte, elle en sort par tous les pores..."
Si vous avez déjà une pratique du texte de Dante, vous serez frappés, frappées par la musicalité-soeur du texte d'Arianna PUNZI. Nous ne saurions analyser de façon plus technique cette réalisation, mais c'est là l'une des grandes qualités de cette Divina Commedia. Et qu'importe si la terzina choisie pour introduire le chapitre reste mystérieuse. C'est la voix musicale de Dante lui-même qui est ici convoquée, et qui peut donner, qui devrait donner au lecteur, à la lectrice, l'envie de s'approcher par la suite du texte original ainsi "apprivoisé". Arianna Punzi parle de son travail de façon intéressante (comme toujours, toutes mes excuses aux non-italianistes...) dans deux interviews: ici, elle est seule, pendant presque 6 minutes. Là, interrogée avec vivacité par Grazia GOTTI, elle s'étend d'avantage et partage la parole avec l'illustratrice Desideria GUICCIARDINI, dans un entretien fort riche d'environ une heure trente.
Desideria GUICCIARDINI, l'autre atout de cette réalisation. Elle ne nous est pas inconnue, nous avons déjà apprécié son travail, très différent, en juillet 2019, dans Cartoline dall'Italia. Elle est passionnante à découvrir dans l'entretien cité plus haut (là...). Y a-t-il nom et prénom plus florentins que ceux qu'elle porte? Et passer les dix premières années de sa vie à quelques 50 mètres de la statue de Dante, place Santa Croce, est-ce que ça dispose à s'intéresser à son œuvre? Pas du tout, c'est presque le contraire: l'aspect farouche -
elle dit "aria grifagna"... - du poète lui suscite plutôt de l’antipathie, et dans sa famille, au contraire des souvenirs jusqu'ici entendus, la Divine Comédie ne fait pas partie des lectures, ni pour les parents, ni pour les grands-parents. C'est donc bien l'artiste qui s'intéresse au texte d'Arianna Punzi (Témoignage vers les 53:55 minutes dans l'interview).
Il est aussi tout à fait intéressant de l'entendre parler de la recherche qu'elle a effectuée avant d'accepter ce travail: les très nombreux illustrateurs de la Divina Commedia, à travers le temps et les pays (c'est vers la 20ième minute). Et comment, dans un premier temps, cet héritage pléthorique avait risqué de l'écraser.
Puis elle s'est lancée, en suivant les étapes du voyage pour mieux rester fidèle au récit. Le résultat est une image pleine page toutes les deux ou trois pages de texte. Image qui explicite davantage les émotions du récit que les péripéties du voyage.
Pour l'Enfer, à titre d'exemple:
- Chant 1 : "Où Dante se perd...". Vous retrouvez ici l'image de la couverture, mais Dante est maintenant prisonnier des arbres qui lui barrent toute possibilité de retour, et il en est conscient.
Chant 26 : "Où Ulysse raconte son dernier voyage". Il est arrivé avec son bateau et ses quelques compagnons, aux confins du monde connu, le détroit de Gibraltar, les "Colonnes d'Hercule", "là où Hercule avait marqué les limites que l'homme pouvait explorer" . Passer ce seuil signifie plonger dans l'inconnu total, et aussi ne pas respecter l'interdit.
L'une des rencontres les plus intenses et les plus célèbres de l'Enfer.
Pour le Purgatoire:
- Chant 2 : "Où Dante retrouve un chantre de ses amis"
Sur cette première image, voici " l'ange nocher, très lumineux" qui passe sur une "embarcation légère". Il amène les âmes qui vont entreprendre leur voyage de purification au Purgatoire.
Quelle économie de moyens pour rendre la légèreté, la luminosité, le mouvement ascendant et en même temps le but, prendre pied sur l'île du Purgatoire.
- Chant 3: "Où Manfred raconte..." .
Après avoir écouté le récit de l'âme du fils de l'empereur Frédéric II, Virgile et Dante reprennent l'escalade de "la paroi rocheuse, gigantesque, très raide" qui les mènera, - s'aidant "des pieds et des mains", à la terrasse supérieure .
- Chants 28 à 32 : "Où Dante retrouve Béatrice".
"...une dame avec un voile blanc et une robe rouge parée d'un manteau vert..."
Une pure apparition, sans les éléments qui "distraient" de la rencontre: le pré fleuri et parfumé qui précède la forêt de l’Éden, au sommet du Purgatoire, stylisée dans ces deux cyprès (arbre toscan par excellence...). Ni le char traîné par un griffon. Ces éléments arriveront à la page suivante.
Après tous les sites minéraux des terrasses du Purgatoire, traités en tons de terre, d'ocre, de nuances de violet, une lumière apaisée qui suggère l'espace au dessus, le Paradis auquel Béatrice va conduire le poète.
Pour le Paradis:
- Chapitre 32 - 33 : "Où Dante accède à la vision de Dieu"
Comment illustrer "la béatitude totale et absolue" causée par la contemplation de la lumière divine? Ces "trois cercles de différentes couleurs qui se reflétaient l'un dans l'autre, comme un arc-en-ciel brille dans un autre arc-en-ciel, et le troisième semblait un feu allumé également par l'un et l'autre" ?
Après cette" vision extraordinaire", "l'imagination et aussi la mémoire (de Dante) furent frappés par un éclair et ne purent soutenir de voler à une telle hauteur. Et les forces (lui) manquèrent".
Tout au long du récit du Paradis, les gradations de lumière, les ballets de plus en plus étourdissants des cohortes d'élus, et la musique qui en émane éblouissent tant le voyageur que celles et ceux qui le suivent. C'est sans doute la partie la plus difficile à illustrer, et Desideria Guicciardini a magistralement joué sur la couleur, tout en gardant une sobriété qui rappelle le monde des mosaïques médiévales - pensons à Rome ou à Ravenne où Dante finit sa vie.
Non, cette Divina Commedia "de plus" n'est vraiment pas superflue, elle ouvrira à la lecture de l’œuvre originale, et enrichira la sensibilité aux images des lecteurs et lectrices, jeunes ou moins jeunes.
La Divina Commedia
texte de Arianna PUNZI, illustrations de Desideria GUICCIARDINI
Éditions LAPIS, collection CLASSICI - 20 mai 2021
264 pages, format 14,4 x 20,8 cm 14, 90 €
Couverture flexible
Âge: à partir de 8 ans
pour les images ici reproduites,
et en particulier à AGNESE E., attachée de presse d'une efficacité souriante très précieuse.
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